Intéressante conférence sur les tendances de M&A 2022 jeudi 19 mai à l’initiative des Echos Capital Finance. Voici ce que nous en retenons.
Dans un contexte compliqué à gérer car lourd d’incertitudes, on assiste à des choix de fermeture : confinement, fermeture des frontières, embargo sur le gaz russe, etc.
Ces phénomènes ont déjà un impact lourd – pénurie de composants, hausse du prix des matières premières et de l’énergie (2 à 3 points de PIB pour la France rien qu’avec la hausse du prix du pétrole et du gaz). La croissance des prix, de +7 à +10%, va-t-elle entraîner un emballement des salaires en Europe, comme on l’observe déjà aux Etats-Unis ? La croissance va-t-elle marquer un temps d’arrêt, l’inflation croître et les taux remonter en flèche ?
En tout état de cause, les entreprises vont moins avoir accès à de l’argent facile et cela entraînera une recomposition des chaînes de valeur, des périmètres et des portefeuilles d’activité.
Pour mieux comprendre ces effets et anticiper leurs conséquences, trois tables-rondes étaient animées par Emmanuelle Duten, rédactrice en chef de Capital Finance, autour de thèmes centraux :
- Tendances d’un marché M&A sous haute tension
- Nouveaux enjeux antitrust
- Deals de growth capital : croissance et résilience
Tendances d’un marché M&A sous haute tension
Les panelistes anticipent une forte activité M&A jusqu’à l’été, même si les deals sont plus longs et difficiles à boucler qu’il y a un an – 2021 a été une année record.
A la rentrée, le resserrement du financement (LBO, …) freinera l’activité pour les Large Cap et le High Yield sera à l’arrêt. Les crédits bancaires seront attribués de manière plus sélective et iront vers des actifs qui ont déjà fait leur preuve. Il y a encore des dossiers au-dessus du milliard d’euros, mais les acquéreurs demandent de nouveau des clauses MAC, réintroduisant la conditionnalité dans les contrats. La baisse du volume de deals en S2 2022 devrait être de l’ordre de 15 à 20% (25% aux US).
La durée moyenne jusqu’à la finalisation du deal s’allonge, passant de 5,8 mois au printemps 2021 à 8,2 mois en 2022. Les investisseurs demandent plus d’analyses, , d’où une plus grande focalisation sur les deals stratégiques.
Quelques nuances sont à apporter toutefois, en fonction du secteur. Par exemple, IDEX, plateforme autour des infrastructures renouvelables, ne voit aucun ralentissement de l’activité M&A dans son secteur et aucune baisse des valorisations pour le moment.
Les fonds d’investissement vont devoir plus travailler leur portefeuille d’actifs. Si ce n’est plus le Beta qui fait la croissance de la valorisation, il faut aller la chercher avec le CA et la rentabilité – ce que résume un participant par la sentence « La période magique est terminée ».
L’earn-out pour le dirigeant cédant s’observe dans environ 15% des dossiers. Ce dispositif complique en effet l’intégration de la structure acquise (le périmètre doit être conservé pour pouvoir déterminer si les conditions du earn-out ont bien été satisfaites) et ajoute une technicalité supplémentaire dans les montages LBO.
Les IPO qui étaient envisagées ont toutes été interrompues dans le contexte d’incertitude actuel.
Les projets d’investissement court pour les Large Cap sont en hausse.
Pour les Mid Cap, le marché va rester très actif.
Les secteurs High Tech, Banques/assurances et Energie vont rester dynamiques : la Tech devrait faire +30% sur les Mid Cap ; des cessions d’actifs de Banques/assurances sont à venir ; la transition énergétique et les partenariats et JV opportunistes dans l’Energie vont soutenir l’activité. Les sujets de cybersécurité et transformation digitale sont toujours tendance. Les enjeux sur les sujets opérationnels (mise en œuvre des synergies, …) sont toujours plus forts.
On observe une « inflation réglementaire » générant un contrôle de plus en plus serré des autorités de concurrence sur les deals.
Nouveaux enjeux anti-trust
La décision de l’Autorité de Concurrence française, après 20 mois d’instruction du dossier, de ne pas demander d’engagement à l’acquéreur dans le deal But / Conforama est une première, liée à l’exception d’entreprise défaillante.
L’Autorité considère que cette exception est recevable si 3 critères cumulatifs sont réunis : la société rachetée risquait de disparaître ; aucun autre repreneur n’a fait une meilleure offre du point de vue de la concurrence ; la comparaison deal / no deal n’est pas défavorable au deal.
Lorsqu’un dossier de reprise est analysé par le Tribunal de Commerce, les principaux critères retenus – préservation de l’emploi, perspectives de développement et garanties d’exécution – ne couvrent pas la concurrence. Pour autant, cette dimension ne doit pas être négligée car les autorités de concurrence appliquent leurs critères de manière très stricte, analysant le nombre d’acteurs sur le marché, les barrières à l’entrée et l’impact pour le consommateur si l’entreprise en difficulté disparaît.
De manière générale, les problématiques anti-trust sont de plus en plus compliquées : article 22, Digital Markets Act européen, sanctions pour défaut de notification dans des pays jusqu’ici peu regardants, …
Growth Tech, ce segment de marché qui combine croissance et résilience
Ce segment s’est fortement développé car il y avait un créneau à occuper entre capital risque et Private Equity réservé aux plus grosses structures. Les entités sur le segment Growth Tech présentent une forte attractivité liée à leur scalabilité et la possibilité de gérer leur CA de manière prédictive.
Mais la valorisation « créative » observée ces derniers temps (multiples supérieurs à 20x le CA fin 2021 contre 10x en 2020 et 5x en 2017) interroge : n’est-on pas allé trop loin ? On va observer « la fin de la myopie du marché », avec le redéploiement de certaines poches de capital très agiles.
Après un premier semestre 2022 qui voit l’avènement de +8 à 9 licornes françaises et après une année 2021 record, il est temps pour l’écosystème de souffler un peu pour repartir sur des bases plus saines. Il faut donc en passer par une phase de récession, mais dont le Growth Tech sortira grandi :
- Même si on peut se féliciter d’avoir aujourd’hui en France atteint l’objectif de 25 licornes (initialement fixé pour 2025), les licornes vont devoir plus se concentrer sur leur rentabilité et pas uniquement sur une croissance effrénée pour justifier leurs levées de fonds. Devenir une licorne n’est pas une fin en soi…
- Si atterrissage des valorisations il y a, les industriels pourront aussi investir dans ces entreprises.
- Une baisse de valorisation aura un fort impact sur les programmes d’incentivisation des employés mis en place au plus haut de la valorisation. Cela peut créer de l’insatisfaction et du mouvement, au profit des entreprises les plus performantes.
En conclusion, on peut dire que le marché M&A est encore très dynamique mais que certains ajustements dans les mois qui viennent permettront de mieux faire le tri entre les opportunités véritables, créatrices de valeur sur le long terme, et les dossiers moins matures. Tout le monde aura à y gagner au final.